
La Promesse du Baiser : le CD lumineux de Dominique Babilotte

Après un CD consacré à Regianni en 2014, Dominique Babilotte nous revient en 2018 avec La promesse du baiser, un très bel album de compositions originales. L’écriture est ciselée (écouter notamment le superbe texte presque slamé On l’aura voulu) et les orchestrations sont très riches, puisqu’une dizaine de musiciens ont participé à cet album. Rencontre.
Pierre Lémo : Vous avez réalisé plusieurs CD avec des chansons écrites par vous et vous avez également interprété les textes des autres (Regianni, Pierre Perret). Dans « La promesse », tous les textes sont de vous (sauf 1). Le premier, Je vous salue l’enfance, raconte des remontées, des résurgences de souvenirs d’enfance : est ce que ça a été le moteur de l’écriture : des souvenirs qui remontent à la surface ?
Dominique Babilotte : Non. Je vous salue l’enfance n’a pas été le déclic sur ce disque. J’avais déjà quelques chansons écrites depuis 3 ou 4 ans. Et puis il y a 2 ans j’ai fait une « résidence d’écriture » seul en bord de mer. Pour moi les promenades et la contemplation de la mer sont propices à l’écriture. A la fin de cette résidence, j’avais écrit 4 ou 5 nouvelles chansons. Sur ce disque le vrai déclencheur a été pour moi l’écriture de la chanson Que murmurent les chevaux ? Le titre est un hommage à Allain Leprest et sa chanson « Où vont les chevaux quand ils dorment ? ». C’est la chanson où d’après moi l’écriture est la plus fouillée, la plus aboutie.
PL : On sent une sensibilité humaniste dans vos chansons : préoccupations pour la planète, pour les autres, pour les gens modestes ou précaires (Que murmurent les chevaux, Cartoneros, Elles, 40 ans). Quelles sont vos sources d’inspiration : voyages, presse, informations ?
DB : je me sers assez peu de mes voyages comme source d’inspiration. J’ai d’ailleurs fait un CD Patchtworld en 2002 qui se passait dans différents pays sur la planète sans visiter tous ces pays, à partir de l’imaginaire. En revanche parfois les choses lues ou vues dans la presse peuvent devenir des sujets de chansons. Pour la chanson Barbosa, l’histoire de ce gardien de foot Brésilien qui a mené une vie de paria suite à un but encaissé lors d’une finale de coupe du monde 1950, c’est un reportage télévisé qui m’a inspiré. J’essaye cependant que les histoires que je choisis de raconter ne soient pas trop faciles, pas trop consensuelles…Pour Elles, 40 ans, j’ai pensé à toutes ces femmes que j’avais vu dans le cadre de mon travail, qui se retrouvaient à élever seules les enfants et sans ressources après le départ de leur mari…
PL : Il y a souvent de la lumière, de l’espoir dans vos chansons (Que murmurent les chevaux, Promesse d’un baiser, On l’aura voulu) : est ce un processus conscient de choisir la lumière lors de l’écriture ou est ce que ça vous vient naturellement ?
DB : je suis d’un naturel plutôt optimiste. Enfin, je l’étais mais je trouve que c’est de plus en plus difficile d’être optimiste dans le contexte actuel avec tout ce qui nous tombe sur la figure. En tous cas, c’est vrai que je fais attention à apporter de la lumière, de l’espoir dans mes chansons. Ce disque, je l’ai écrit en pensant beaucoup à ma famille, à mes enfants et petits enfants. Et c’est vrai que c’est une préoccupation : qu’est ce que je leur ai transmis comme vision du monde, comme héritage ? Un peu d’espoir j’espère…
PL : un texte n’est pas de vous sur cet album 11 novembre 9h32. Quelle est l’histoire de cette chanson ? Pourquoi avoir eu envie de la chanter ?
DB : J’ai rencontré par l’intermédiaire d’un ami Manuel Bonneau, qui a une connaissance encyclopédique de la chanson. Il connaît énormément de chansons par cœur, d’auteurs…on a sympathisé. Et il a fini par me dire qu’il écrivait des chansons. Six mois avant l’enregistrement, il m’envoie un recueil de chansons qui comprenait 11 novembre 9h32. Elle m’a plu, parce qu’elle traite d’un sujet que je n’aurais probablement pas osé ou su traiter (la guerre et sa mémoire). J’ai fait une musique, et comme l’ensemble fonctionnait, on l’a mise sur le disque.

PL : Faites vous une différence entre votre travail d’interprète et lorsque vous interprétez des chansons que vous avez écrites ?
DB : Dans le répertoire de Reggiani par exemple, il y a quasiment une chanson sur deux ou Serge Reggiani incarne un personnage et utilise ses capacités d’acteur. J’adore ces chansons là car elles permettent de jouer et de vivre à fond l’interprétation. Par contre lorsque j’écris mes propres chansons, j’ai du mal à faire naître des personnages éloignés de ma personnalité et qui me permettraient d’incarner un rôle. C’est une frustration. J’aimerais pouvoir le faire.
PL : Dans quelles conditions écrivez-vous ? Avez-vous une routine d’écriture ?
DB : j’ai aménagé une pièce pour écrire mais je ne l’utilise jamais (rires). En fait la plupart du temps, les idées viennent lorsque je me promène sur la plage ou sur le chemin des douaniers. J’enregistre alors des bouts de phrase, des idées ou des mélodies sur mon téléphone. Le travail consiste alors à « étirer » ces idées de départ, à creuser…
PL : Dans Que murmurent les chevaux, vous faites référence à Anne Sylvestre : quelles sont les influences que vous revendiquez ?
DB : Pour ce disque, j’ai réécouté beaucoup Leprest, qui m’a inspiré pour l’écriture. Je l’ai redécouvert assez tard en 2014-2015. Anne Sylvestre est également une référence. J’ai également découvert son répertoire pour adultes assez tardivement. C’est une auteure majeure. Ça m’amusait de lui rendre hommage dans cette chanson.
PL : Comment devient-on chanteur lorsque l’on grandit dans le milieu ouvrier dans le Nord de la France ?
DB : j’ai toujours chanté. Enfant, c’était essentiellement de la variété. Et puis en 1972, mon père a été muté d’Hazebrouck où nous habitions, à Langueux en Bretagne. J’avais trouvé un petit boulot saisonnier au bord de la mer. Un soir, j’ai été voir par hasard sous un chapiteau plusieurs chanteurs dont Gilles Servat. Ça a été une révélation. J’ai compris qu’on pouvait raconter nos propres histoires dans les chansons. Le lendemain, j’achetais ma première guitare. Au départ, je chantais les chansons des autres. En particulier souvent le samedi soir dans une crêperie à Tregomeur. Et puis est venue l’envie d’écrire mes propres chansons.
PL : Quel regard portez vous sur les réseaux « chanson » en Bretagne par rapport à d’autres régions ?
DB : il y a très peu de lieux qui programment de la chanson en Bretagne. Peut être en partie en raison du dynamisme de la musique traditionnelle qui est très ancrée dans le paysage musical. Aujourd’hui les concerts à domicile se développent un peu partout et permettent aux chanteurs de se produire mais les équilibres économiques sont fragiles.
PL : comment composez vous ? Sur quel instrument ?
DB : principalement à la guitare, qui est mon instrument de prédilection.
PL : Sur La promesse du baiser, les couleurs musicales sont très variées : rythmes caribéens (Barbosa, L’eau de vie), tango (Cartoneros) et vous avez invité une dizaine de musiciens (percussions, bandonéon, cordes, cor…) : qui a habillé les chansons sur le disque ?
DB : je tenais effectivement à varier les couleurs et les ambiances. C’est pour cela que plusieurs personnes ont fait les arrangements des chansons : Mathilde Chevrel vient du classique et de la musique traditionnelle, Jean Marc Illien plutôt de la variété…Cela permet de ne pas retomber toujours dans les mêmes univers musicaux. Par exemple pour la chanson En baie de Saint Brieuc, je ne voulais pas de la sonorité bossa que plusieurs arrangeurs avaient proposé. Pour L’eau de vie, je souhaitais un univers proche de « L’amour sorcier » de Nougaro. Cela nous a permis de trouver des rythmiques intéressantes.
PL : Quel habillage musical pour les chansons sur scènes ?
DB : il y a 2 versions sur scène : une version en piano-voix et une version où il y aura en plus violoncelle, basse et violon, plus proche de la version gravée sur le CD.
PL : Vos prochaines dates/actualités ?
DB : en janvier, nous allons travailler une création lumière du spectacle. Le 20/01/2019 on jouera au Semaphore à Trebeurden (22) puis le 01/02/2019 à Pledran (22), avant d’autres dates ailleurs en France.
http://www.dominiquebabilotte.sitew.fr/
Interview réalisée le 27/12/18 à Saint Brieuc.